4 les veuves

Les Veuves
 

Nouvelles.

Éditions Plaisir du Lire, Cossonay, 1996, 137 pages
ISBN 2-88387-013-6
Ouvrage dédié à Jean-Luc Badoux, avec la mention frère des douleurs, janvier 1994

Enregistrement CD Audio : Radio Suisse romande, « La comédienne », « La petite vieille », « L'âne », trois nouvelles  extraites de Les Veuves, lecture de  Gil Pidoux,  15 et 16 janvier 2004.
Ouvrage non disponible chez le diffuseur. En vente auprès de l'Association des Ami(e)s de Gil Pidoux.



 

 

Extrait de la nouvelle « Le Journal »
(La veuve d'un professeur reçoit la visite d'un ancien élève de son mari, venu d'Alexandrie. Le visiteur est en posssession du journal intime de son ancien Maître, qu'il se propose d'éditer. Ce Journal évoque des amours clandestines du Maître. La veuve sert biscuits et porto à son hôte). 
 
Il essayait de faire passer les biscuits un peu secs qu'elle lui avait offert, avec un peu de porto.
Il y a longtemps que je n'en ai pas bu, dit-elle, je ne sais plus qui me l'a offert cette bouteille, l'an passé. Rassurez-vous, elle était bien fermée, vous avez pu le constater.
J'ai constaté. D'ailleurs, le porto se garde longtemps.
Il y eut un silence, brodé au point de croix. Un pâle soleil jaune baignait le visage de la vieille femme aux yeux gris, attentive aux propos de son visiteur, de ses gestes. Il sortit, par mégarde, machinalement, une vieille pipe de sa poche, s'excusa, voulut la remettre, elle protesta avec gentillesse :
Ne vous gênez pas, cher monsieur, il y a longtemps que je n'ai pas senti l'odeur du tabac dans cet appartement. Mon mari fumait aussi la pipe, vous savez. (...).
 
Gil Pidoux, Les Veuves, p. 88-89.

Dans Les Veuves, Gil Pidoux aborde une nouvelle facette de son écriture. Douze nouvelles, douze histoires de femmes, de veuves. Malgré les interrogations que le titre pourrait suggérer, le ton n'est pas funèbre. Gil Pidoux écrit par empathie, par proximité avec des destins dont le veuvage, dans sa diversité, est fort éloigné des conventions usuelles.  Les histoires de veuves sont faites de larmes qui n'ont rien à voir avec les pleurs de la littérature  (p. 15).

Pourquoi évoquer seulement des veuves ? Parce que les veufs parlent moins.

Ce recueil de nouvelles a paru chez Plaisir de lire, une maison d'édition associative, qui milite pour la promotion de la littérature romande. Gil Pidoux accède ainsi à un catalogue d'auteurs reconnus,  Ramuz, Landry, Mercanton, Monnier, Bille, Chappaz... Edmond Pidoux, écrivain, dramaturge professeur de littérature au gymnase de Lausanne, introduira son neveu aux arcanes du monde littéraire romand.  « Ces textes resteront », lui affirmait-il.

Jacques Bron, lui-même auteur de nouvelles, a présenté ce manuscrit à la maison d'édition « Plaisir de Lire ». Ce président des écrivains vaudois des années 1990 fut également à l'origine de l'attribution du Prix des écrivains vaudois à Gil Pidoux, en 1998.

 

Le poète et essayiste vaudois, André Durussel, a rédigé un article de presse sur « les Veuves » en 2016, dont nous reprenons ici quelques extraits.

 

 La première nouvelle, intitulée : « La lettre d'Australie, évoque la vie d'une vielle maman qui attend une lettre de son fils, installé en Australie, et qu'elle n'a pas revu depuis quatre ans. (...) Cette veuve prend alors une décision surprenante, celle de tout liquider et de partir le rejoindre. Dans « La femme du peintre » c'est la veuve d'un artiste peintre qui contemple les toiles laissées par son défunt mari (...). Dans « La Comédienne », c'est un hommage à Marguerite Cavadaski (1906-1972), parisienne installée à Lausanne dès 1934, celle qui va interpréter la plupart des pièces de René Morax, et jusqu'à « La visite de la vieille dame » de F. Dürenmatt, en 1961. Enfin, « l'Âne », dernière nouvelle très touchante de ce recueil, se situe en Grèce. Cette veuve, habillée de noir, possède trois chèvres et un âne. Mais la voici en fin de vie, à l'hôpital... Dans l'enclos des voisins où il avait été attaché, l'âne s'est mis alors à braire très fort. L'auteur précise : « C'est le pope qui lui a parlé, c'est le pope qui l'a consolé».

 

Gil Pidoux insiste sur le fait que ces nouvelles sont des fictions, même si la plupart sont inspirées de faits réels. « La femme du peintre » peut être lue comme un hommage au peintre Bernard Pidoux son père. Mais, de fait, en 1996, ce père était encore bien vivant. Gil Pidoux a effectivement travaillé avec la comédienne Marguerite Cavadaski; l'annonce  différée du  décès de son mari, alors qu'elle interprétait La Visite de la Vieille Dame, est également un élément de réalité. « La sorcière de Barcelone » est inspirée par un personnage de l'enfance de Gil Pidoux, à Lausanne. L'auteur a voyagé en Grèce.

Cependant, le décalage entre la réalité et la fiction n'intéresse pas l’auteur ; il ne marque pas de goût particulier pour des textes à clef, pour des allusions habiles, pour des travestissements d'identité. Il ne voit pas l'intérêt d'en écrire davantage ; seules prévalent, pour lui, la dynamique du récit, sa construction, la liberté d'imaginer une circonstance, un décor, un sentiment.

Ainsi, dans « La petite vieille » (p. 49) :

C'était une petite vieille grise et bien mise, délicate autant qu'une statuette de terre, au tient de gâteau de riz. Elle sourit sans cesse, c'est sa fonction de sourire, aux choses et aux gens, à tout instant.